Papiers
« Je me suis intéressé au flou qui existe entre la réalité et la fiction, la nature et l’artifice, la beauté et la décadence. »
« I looked at the blurred lines between reality and fiction, nature and artifice, and beauty and decay. »
Gregory Crewdson
Crewdson se confiant à la galerie Gagosian dans le cadre de l’exposition “Sanctuary” de 2010 à New- York. https://gagosian.com/exhibitions/2010/gregory-crewdson-sanctuary/ – Crewdson speaking to Gagosian Gallery as part of the 2010 “Sanctuary” exhibition in New York. https://gagosian.com/exhibitions/2010/gregory-crewdson-sanctuary/
Né à Brooklyn en 1962, Crewdson réinvestit dans son travail anecdotes névrotiques et récits oniriques des patients de son psychanalyste de père, qu’il se plaisait à écouter discrètement, oreille contre le mur, alors enfant.(2)
Non content de travailler le registre cinématographique, s’entourant d’équipes de cinéma, production et postproduction, son travail évoque vraisemblablement la peinture réaliste, d’Edward Hopper principalement, partageant avec le peintre un silence expressif, duquel émanent tensions, angoisses et mouvements de l’âmes, et au cinéaste David Lynch (3) bien entendu – pour son imagerie quelque peu surréaliste et surtout onirique, où la narration est parfois difficilement lisible mais très esthétique.
Car si le conscient reconstitue – autant que faire se peut – l’image du rêve, ne lui restant à l’esprit qu’une ou deux images, accompagnée d’une atmosphère, d’un sentiment quelconque du rêveur à l’éveil, Crewdson reproduit chaque élément à la manière d’une scène de studio de cinéma, depuis l’image telle que l’artiste la conçoit jusqu’au tableau final – nécessitant une équipe digne des plus grands studios, faisant exception dans le monde de la photo, même plasticienne.
Dans les compositions de l’artiste, tout est construit, voire reconstruit : les villes, rues, bois, les façades ou intérieurs des logements jusqu’à la lumière du ciel, chaque élément est recomposé depuis des souvenirs d’enfance de l’artiste, de ces récits tel qu’enfant il les entendait furtivement à travers la porte du cabinet de son père, jusqu’aux seules images mentales qui ont pu résister au temps et qu’il choisit aujourd’hui de représenter. Décors, effets spéciaux, éclairages, se prêtent à cet exercice, documentant à travers une esthétique cinématographique quiétude et inquiétude du monde du rêve.
La profusion de détails – faisant figure de preuves – et d’éléments informatifs, tranche littéralement avec la photographie à laquelle nos yeux sont accoutumés, à savoir des espaces épurés et lisses, des images saisies au vif et des personnages en mouvement là où chez Crewdson ces figures hiératiques invitent au décryptage et au songe éveillé. Ses photographies sont d’un autre genre. Elles sont l’irreprésenté par excellence, le fuyant, passant des vapeurs d’un sujet endormi à la fugacité de son éveil et de sa vision quittant peu à peu l’œil de l’esprit appesanti pour renouer avec la concrétude de l’existence éveillée.
(2) Anthony O. Scott et Gregory Crewdson (trad. Hortense Lyon), Sanctuaire : Gregory Crewdson [« Sanctuary »], Paris, Éditions Textuel, 2010
(3) Onirisme que l’on retrouve dans Twin Peaks de David Lynch que d’aucun ont pu qualifier de narration déconstruite mais d’imagerie esthétique. Pour aller plus loin voir : https://theconversation.com/trois-etudes-de-david-lynch-93395
Born in Brooklyn in 1962, Crewdson reinvests in his work neurotic anecdotes and dreamlike stories of his psychoanalyst father’s patients, whom he liked to listen to discreetly, ear to the wall, as a child. (2)
Not content with working in the cinematographic register, surrounding himself with film, production and post-production teams, his work probably evokes realist painting, mainly by Edward Hopper, sharing with the painter an expressive silence, from which emanate tensions, anxieties and movements of the soul, and of course the inspiration from the filmmaker David Lynch (3) – for his somewhat surrealist and especially dreamlike imagery, where the narration is sometimes difficult to read but very aesthetic.
Because if the conscious reconstructs – as much as possible – dream images, leaving only one or two in mind, accompanied by an atmosphere, a feeling of a dreamer upon waking, Crewdson reproduces each element in the manner of a film studio scene, from the picture as the artist conceives it to the final painting – requiring a team worthy of the greatest studios, an exception in the world of photography, even for visual arts.
In the artist’s compositions, everything is constructed, even reconstructed: cities, streets, woods, facades or interiors to sky lights, each element is recomposed from the artist’s childhood memories, from these stories he heard then furtively through the door of his father’s office, to the only mental images that has been able to resist time and that he chose to represent today. Sets, special effects, lighting, lend themselves to this exercise, documenting through a cinematic aesthetic the tranquility and anxiety of the dream world.
The profusion of details – acting as evidence – and informative elements, literally contrasts with the photography to which our eyes are accustomed, namely refined and smooth spaces, images captured in the moment and characters in motion where in Crewdson these hieratic figures invite decryption and waking dream. His photographs are of another kind. They are the unrepresented par excellence, the fleeing, passing from the vapors of a sleeping subject to the fleetingness of his awakening and his vision gradually leaving the eye of an heavy mind to reconnect with the concreteness of waking existence.
(2) Anthony O. Scott and Gregory Crewdson (trans. Hortense Lyon), Sanctuary: Gregory Crewdson [“Sanctuary”], Paris, Textuel editions, 2010
(3) Dreaminess that we find in David Lynch’s Twin Peaks that some have been able to qualify as deconstructed narration but aesthetic imagery. To go further see: https://theconversation.com/trois-etudes-de-david-lynch-93395
Généralement réalisées en studio, ces photographies ne sont donc en rien improvisées : les scènes sont travaillées comme de véritables compositions picturales, où chaque détail possède son sens, de manière intrinsèque mais aussi extrinsèque, au sens où le moment choisi, celui du rêve et de la situation chimérique représentée, doit éveiller chez le regardeur un élan certain vers une volonté d’identification, une mémoire, une projection, depuis le travail de l’artiste jusqu’aux tréfonds de l’intime.
L’univers onirique de ces séries photographiques est le lieu de la narration certes, mais aussi et surtout d’un certain malaise propre au rêve et à son image, entre aurore, nuit et crépuscule, entre matinées ensommeillées d’angoisses, sommeil profond et éveil délicat. Il n’est qu’à prêter attention aux visages des figurants, tour à tour fantomatiques, absents, hagards, pour sentir le malaise envahir n’importe qui. Malaise qui rend avide de déchiffrer l’enjeu, tantôt pour se libérer d’un conflit latent, tantôt pour en saisir l’essence de la composition.
Une composition donc et non une complète narration, un instant figé sur la surface photosensible de l’appareil, faisant miroir à ces autres images fugaces figées dans l’œil d’une mémoire qui semble plus trahir l’éveillé que le renseigner. Images qui parviennent donc furtivement à la conscience une fois sorties de la torpeur de ce long sommeil, et desquelles il s’agit de se délivrer, de donner sens ou d’oublier, prenant alors le risque que les scènes réapparaissent la nuit venant. Des images où les détails fusent mais interrogent davantage qu’elles n’informent. Laissant alors au regardeur ou rêveur, le soin de ressasser jusqu’au sens occulté par l’éveil.
« Comme une histoire figée à jamais entre l’avant et l’après, demeurée toujours irrésolue. »(4)
Crewdson donne à voir, et d’une fabuleuse manière, une Amérique de la middle class, en proie aux rêves les plus fantaisistes et non moins lugubres, où le bleu du ciel noircit par la nuit fait référence à cet ailleurs que constitue le sommeil. Où ces nuits inquiétantes, ces rêves difficilement descriptibles de rêveurs anonymes, que l’oreille de son père avait déjà probablement dû chercher à détailler. Ces récits de patients, dont les rêves traquaient alors l’essence de la névrose, dans ces détails insignifiants mais non moins virulents dont le plasticien s’empare.
Cet ésotérisme de l’image, dans la lignée de Jeff Wall, aux mises en scènes au moins aussi minutieuses, exigeantes et précautionneuses, témoignent d’une intensité bien spécifique au monde du rêve, de la névrose, accentuée par un certain mystère de ces constructions bien particulières.
© Photographies Gregory Crewdson
(4) https://artpil.com/gregory-crewdson/ (Propos rapportés.)
Generally made in the studio, these photographs are therefore in no way improvised: scenes are worked like real pictorial compositions, where each detail has its meaning, intrinsically but also extrinsically, in the sense that the chosen moment, that of the dream and the chimerical situation represented, awakens in the viewer a certain impulse towards a desire for identification, a memory, a projection, from the work of the artist to the depths of the intimate.
The dreamlike universe of these photographic series is the place of narration certainly, but also and above all of a certain unease specific to the dream and its image, between dawn, night and dusk, between mornings sleepy with anguish, deep sleep and delicate awakening. We only have to pay attention to the faces of the extras, by turns ghostly, absent, haggard, to feel the unease invade any viewer. Uneasiness that makes one eager to decipher the stakes, sometimes to free oneself from a latent conflict, sometimes to grasp the essence of the composition.
A composition therefore and not a complete narration, a moment frozen on the photosensitive surface of the device, mirroring these other fleeting images frozen in the eye of a memory that seems to betray the awakened rather than inform him. Images that therefore furtively reach consciousness once emerged from the torpor of this long sleep, and from which it’s a question of freeing oneself, of giving meaning or of forgetting, then taking the risk that the scenes reappear when night falls. Images where the details burst forth but question more than they inform. Leaving then to the viewer or the dreamer, the care of brooding over even the meaning hidden by awakening.
« Like a story frozen forever between before and after, always remaining unresolved. » (4)
Crewdson shows, in a fabulous way, a middle-class America, prey to the most fanciful and no less gloomy dreams, where the blue of the sky blackened by the night refers to this elsewhere that constitutes sleep. Where these disturbing nights, these dreams difficult to describe of anonymous dreamers, that his father’s ear had probably already tried to detail. These stories of patients, whose dreams then tracked the essence of neurosis, in these insignificant but no less virulent details that the photographer seizes in these compositions.
This esotericism of the image, in the tradition of Jeff Wall, with stagings at least as meticulous, demanding and cautious, testify to an intensity very specific to the world of dreams, of neurosis, accentuated by a certain mystery emanating from these very particular constructions.
© Photographs Gregory Crewdson
(4) https://artpil.com/gregory-crewdson/ (Reported words.)
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