« Premières couleurs » – Julien Fournié Haute couture pour le printemps été 2011
Papiers

« La Haute Couture pour moi, c’est être un peu chirurgien esthétique. Des femmes arrivent parfois avec une épaule plus basse que l’autre, un sein retouché… Je pense que nous sommes là pour monter un bras, cacher une épaule… »

« Haute Couture for me is to work as an aesthetic surgeon. Women sometimes arrive with a shoulder lower than the other, a breast retouched … I think we are here to mount an arm, hide a shoulder… »

Fournié

La Haute couture. Cette appellation strictement française, n’existant qu’à Paris, et soumise au contrôle de la loi, est une appellation juridiquement protégé depuis le fameux décret de 1945 ; elle est si élitiste que les Maisons souhaitant s’en réclamer doivent répondre à certaines prérogatives avant de s’arroger le droit de porter cette mention.

Ainsi, le travail doit être réalisé à la main dans les ateliers de la maison qui doivent être au minimum de deux, le nombre d’employés est quantifié, les modèles doivent être strictement uniques, mais également contrôlés par des techniciens hors pair ; la griffe en question doit veiller à participer à un quota de défilés minimum avec au moins 25 passages chacun, l’utilisation d’une certaine surface de tissu est observée de près (…)

Malgré le prestige accordé par la distinction, le nombre de Maisons pouvant encore se permettre ce luxe diminue, car bien que la couture continue de faire rêver, elle est largement déficitaire pour qui s’y engage, bien que véhiculant un imaginaire aux frontières de l’art, au-delà de la simple nécessité de se vêtir. D’ailleurs, les griffes françaises qui défilent en couture se comptent désormais sur les doigts d’une main, bien que demeurant les plus nombreuses.

Ce qui s’explique par des différences de nature entre les deux savoir-faire. Ce qui différencie la haute couture du prêt-à-porter, c’est l’unicité du modèle et le travail des petites mains dans les ateliers, des centaines d’heures, pour une pièce sur mesure, défiant par sa hardiesse les grands monstres du prêt à porter de masse, produisant à la chaine et habillant des millions de personnes à la fois.

Peu de clientes, peu de commandes, et pourtant, un grand investissement financier et une faible rentabilité. Le but de la haute couture ? Continuer de faire rêver, inspirer les collections de prêt-à-porter, faire parler de la Maison et projeter une image d’une poésie bien singulière, renforçant le prestige de la marque et dopant les ventes du prêt-à-porter et des ventes additionnelles (parfums, cosmétiques, maroquinerie).

 

Haute couture. This french appellation, existing only in Paris, and subject to the control of the law, is  legally protected since the decree of 1945 ; it’s so elitist that Houses wishing to rely on it must meet certain prerogatives before assuming the right to have this mention.

Thus, works must be carried out by hand in workshops from the house, which must be at least two, number of employees is quantified, each piece must be strictly unique, but also controlled by outstanding technicians ; the brand must participate in at least 2 shows a year with at least 25 passages each, the use of a certain surface of fabric is closely controled (…)

Despite prestige awarded by distinction, number of Houses still able to afford this luxury diminishes, because although haute couture continues to make people dream, it’s largely in deficit for those who engage in it, although conveying an imaginary close to Art, beyond the simple need to dress. Besides, French brands which have a haute couture collection are now counted on the fingers of a hand, although remaining the most numerous.

This is explained by differences in the nature of the two savoir faire. What distinguishes haute couture from ready-to-wear is the uniqueness of pieces and the work of couturières in workshops, hundreds of hours, for a custom-made piece, defying by its boldness the great monsters of ready-to-wear, producing by chain and dressing millions of people at a time.

Few customers, few orders, and yet a great financial investment and low profitability. Purpose of haute couture? Continue to dream, to inspire ready-to-wear collections, to make people talk about the House and to project an image of a very singular poetry, reinforcing prestige of a brand and boosting sales of ready-to-wear and others (perfumes, cosmetics, bags).

Revenons à Julien Fournié : né en 1975, ancien directeur artistique de la maison Torrente, il n’était pas destiné à poursuivre une carrière dans la mode quant au sortir d’une prépa scientifique et d’une licence de biologie, il tente le tout pour le tout et se lance dans la mode. Aujourd’hui, il a déjà organisé trois défilés dans le « off » de la haute couture. Ce défilé, de 2011, inscrit un tournant dans sa carrière: il  marquait son entrée parmi les plus grands (Chanel, Dior, Givenchy…)

C’est dans cette atmosphère quelque peu délétère du monde de la haute couture, au sein de laquelle les Maisons se désengagent peu à peu, que le mardi 25 janvier Fournié présentait sa collection à la mairie du VIe (Paris). Très touchée par sa collection automne/ hiver 2009, qu’il évoquait en des termes peu courant, son travail suscitait alors chez les rédactrices de toute part une curiosité naissante et grandissante.

Sa façon de manier l’art de la haute couture, sans couture avait marqué les esprits du milieu de la mode : figurer un style, sans  le moindre tracé de mode ; inciser dans du satin, émonder de la mousseline, ébarder,  échancrer l’organza à même la matière, sans fioriture aucune, si ce n’était pas seulement de l’audace, c’était au moins aussi une manière nouvelle de penser la silhouette, en dehors du cadre de la stricte technicité, sans pourtant la délaisser tout à fait.

Laisser dialoguer corps et matières pour un résultat tout en courbes et en arabesques. Travailler contre la ligne, dévoiler une architecture vaporeuse. Une poïétique riche et admirable, à la dimension poétique, lyrique, à laquelle on n’était plus habitué dans un monde de la mode où ventes et rentabilités occupent l’espace de la discussion, de l’attention, au détriment de la création, mais aussi du discours poétique attenant à la création, dont il devrait pourtant être principalement question.

Revenant à la présentation de la collection, Fournié ne semble pas avoir manqué d’assurance, en ne faisant défiler que des mannequins de couleurs, geste militant, dans la droite ligne d’un Gaultier, plus prompt à manifester son attrait pour des morphologies atypiques, des muses hors normes, loin des standards en vigueur dans le mannequinat. Car si ces femmes étaient de couleurs, chose assez rare pour le souligner, dans le panel habituel que l’on nous soumet au regard, elles étaient aussi très conformes aux corps longilignes et décharnés si âprement critiqués pour leur asexualité et leur côté parfois maladif.

Néanmoins, ces beautés métissées et de couleurs ont su mettre en valeur la gamme chromatique choisie par le couturier : du lamé doré, du fushia, à l’orangé franc, jaune clair et lumineux, rose décliné sous plusieurs tonalités, des couleurs chaudes en somme s’entremêlant allègrement, avec une touche de couleurs froides dont des vert pomme et des bleus électriques. Des teintes volontairement saturées et visuellement fortes, s’appropriant littéralement la lumière, qui tranchent avec les collections précédentes plus pastels et délicates.

La collection sonne donc assez 1980′s, pour ne pas dire disco. On aime le détail de la fermeture éclair, toujours aussi moderne, rappelant les classiques des années 1980 et notamment Val Piriou, l’oublié de cette décennie. Des bustiers qui semble emprunter aux combinaisons spatiales tant la coupe semble à la fois rigide mais légère, légèreté accentué par la transparence et la finesse du tissu accompagnant la pièce et la délicatesse de la peinture réalisée à la main sur ces morceaux d’étoffes précieuses.

La femme chez Fournié est donc plutôt joyeuse ; malgré la crise, elle assume d’être vue, de porter des pièces luxueuse, ne s’en excuse pas et n’a pas peur d’être regardée, voire montrée du doigt. Elle ne s’efface pas, elle a de l’audace et du franc parlé ; ce qui entre en stricte contradiction avec les codes du moment, du normcore et les néo-minimalistes et pourtant, cela semble cohérent. L’ensemble de la collection, dans une présentation à la mise en scène quelque peu classique, ou attendue – outre ce parti pris politique mais pas révolutionnaire – semble fonctionner.

 

Let’s go back to Julien Fournié: born in 1975, former artistic director of Torrente, he was not destined to pursue a career in fashion but rather as a scientist (with a biology degree). Today, he has already organized three shows in the « off » of haute couture. This show, of 2011, marked a point in his career: he marked his entry among the biggest (Chanel, Dior, Givenchy …)

It was in this somewhat deleterious atmosphere of  haute couture, in which Houses gradually disengaged, that on Tuesday, January 25, Fournié presented his collection at the Mairie du VIe (Paris). Very touched by his fall / winter 2009 collection, which he evoked in terms not very current, his work aroused among writers on all sides a nascent and growing curiosity.

His manner of handling the art of haute couture, without couture had marked the minds : to represent a style, without any line ; incise in satin, sprinkle with muslin, smear, cut organza directly in the fabric, without any frills, if it was not just audacity, it was at least also a new way of thinking silhouette, outside the framework of strict technicality, without however completely abandoning it.

He lets body and fabrics dialogue for a result in curves and arabesques. Work against the line, unveil a vaporous architecture. A rich and admirable poetic, lyrical dimension, to which we was no longer accustomed in a world of fashion where sales and profitability occupy the space of discussion, attention, to the detriment of creation. Adding poetic discourse attached to creation, of which it should nevertheless be chiefly concerned.

Going back to the show, Fournié does not seem to have lacked self-confidence, by only scrolling with color mannequins, militant gesture, in the line of a Gaultier, more ready to show his attraction for atypical morphologies , unusual muses, far from standards. Because if these women were colored, which is rare enough to underline, in the usual panel that we are subjected to the eye, they were also very conformed to the long-sided and emaciated bodies so harshly criticized for their asexuality and their sickly side.

Nevertheless, these mixed and colorful beauties have highlighted the chromatic range chosen by the couturier: golden lamé, fuchsia, frank orange, light yellow and bright, rose in several tones, warm colors in short interweaved blithely, with a touch of cold colors including apple green and electric blues. Tints deliberately saturated and visually strong, literally appropriating light, which contrast with the previous collections more pastel and delicate.

The collection sounds pretty 1980’s, not to say disco. We like the detail of zipper, still modern, reminiscent of the classics of the 1980s and especially Val Piriou, the forgotten designer of this decade. Bustiers seem to borrow from spatial combinations so the cut seems rigid but light, lightness accentuated by transparency and finesse of fabric accompanying pieces and delicacy of handmade paint on these pieces of precious fabrics.

The woman at Fournié is therefore rather cheerful; despite the subprimes crisis, she assumes to be seen, to wear luxurious pieces, does not apologize and is not afraid to be looked at, or even pointed at. She is not effaced, she has audacity and frankness; which comes into strict contradiction with nowadays codes, normcore and neo-minimalists and yet it seems coherent. The whole collection, in a presentation with a somewhat classic, or expected – in addition to this political but not revolutionary bias – seems to work.